dimanche 15 avril 2018

Être une taupe avec Bascom Lamar Lunsford (1928) et les autres...



Le meilleur de Greil Marcus, je crois que c'est quand il s'attache à une chanson et déplie ses multiples versions, comme dans l'excellent petit livre qu'il avait fait sur "le mythe de Stagger Lee". Dans son dernier bouquin, tout juste traduit chez Allia, il s'occupe de trois morceaux et c'est le dernier qui nous intéresse aujourd'hui : "I Wish I Was A Mole In The Ground" de Bascom Lamar Lunsford. Nous sommes en 1928, quand Lunsford décroche son banjo et reprend une chanson sans âge où il est question d'une taupe qui creuse la montagne, mais aussi de Kimbie qui veut un châle à neuf dollars, mais aussi de cheminots assoiffés de sang.

Voici les premiers vers :

I wish I was a mole in the ground.
Yes, I wish I was a mole in the ground.
Like a mole in the ground,
I’d root that mountain down,
And I wish I was a mole in the ground.

J'aimerais être une taupe sous la terre,
Oui, une taupe sous la terre
Et comme une taupe sous la terre
Je finirais par miner la montagne
Et j'aimerais être une taupe sous la terre


Vous trouverez l'intégralité des paroles ici (sur un site qui explore l'inépuisable anthologie de Harry Smith), avec une sélection d'autres versions de la chanson.

Ce qui fait que ce morceau m'atteint en plein cœur aujourd'hui, c'est qu'il semble s'y mêler mes deux tentations du moment. Celle de disparaître, de rejoindre sous la terre un état d’irresponsabilité pré-natal, d'atteindre le rêve d'une vie inentamée, encore exempte des plaies et bosses, de donner corps à la nostalgie d'un refuge. Les Scrugg (un groupe de Sud-africains exilés en Angleterre) ont dit à peu près ça, de façon mémorable en 1968. Avec une sincérité dans le pathos assez rare à l'époque du psychédélisme triomphant :


"I Wish I Was Five / Sometimes It's not So Good To Be Alive"

L'autre tentation taupine, ce serait bien sûr d'excaver le sol sous l'édifice social, avec force, détermination et suffisamment d'à propos pour pouvoir se rappeler sans honte le célèbre vers d'Hamlet et répéter à la suite du noir gaillard de Trèves : "Bien creusé, vieille taupe!".


Et pour revenir à notre chanson après ces considérations cryptées sur la môme dialectique, voilà encore une autre version, celle de Jackson C. Frank, plus centrée sur Kimbie. Nous sommes en 1965.


 Rappel : la biographie de Jackson C. Franck se trouve dans Recoins n°2.


2 commentaires:

  1. ah bin, pour une fois, vraiment pas d'accord - voilà ce que j'en pense du Marcus sur ce morceau : https://doi.org/10.4000/volume.9214
    (-Marc Morin)

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    1. Merci pour cet article précis lu avec intérêt. Ceci dit Marcus fut indéniablement le point de départ de ma propre rêverie et à ce titre je lui en suis reconnaissant. Évidemment, ce n'est en rien un gage de rigueur scientifique.

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